« Rien n’a été fait pour réconcilier les Gabonais » – Jeune Afrique

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L’ancien ministre d’Omar Bongo Ondimba, devenu cadre de l’opposition gabonaise, estime que cette dernière doit d’ores et déjà se rassembler pour la présidentielle de 2023. Un scrutin auquel il envisage de se présenter.


Expert-comptable passé par Elf, ancien ministre des Finances d’Omar Bongo Ondimba et ex-sénateur du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), Charles M’Ba est aujourd’hui un cadre de l’Union nationale (UN, opposition) et fut un temps proche de Jean Ping. S’il n’exclut pas de se présenter à l’élection présidentielle de 2023, il appelle l’opposition et le pouvoir à tirer les leçons du passé pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Entretien.

Jeune Afrique : La crise politique étant finie, le Gabon est-il un pays apaisé ?

Charles M’Ba : Comment le pays pourrait-il être apaisé ? L’essentiel des organisations syndicales du public, du parapublic et du privé appellent sans cesse à la grève depuis des années… Quand les Gabonais, pour manifester leur mécontentement, sont obligés de taper dans des casseroles avant de se faire matraquer chez eux la nuit …

Regardez les notations des agences et les indices relatifs au risque politique. Le Gabon est mal classé. La Coface [société d’assurance crédit française], par exemple, estime que le contexte politique et social est détérioré. Nous n’attirons pas les investisseurs. Regardez le classement Doing business de la Banque mondiale [le Gabon se classe à la 169ème place dans le rapport 2020, NDLR]. Et je vous prie de noter que ce n’est pas nous, l’opposition, qui faisons ces classements !

Le pays n’est pas non plus au bord de la catastrophe…

C’est une fuite en avant de continuer à faire comme si de rien n’était. Le Gabon que je connais est celui des routes abîmées, quand elles existent, celui des écoles bondées, celui des éléphants blancs… Ma petite-fille a eu le bac l’année dernière à 16 ans. Pour s’inscrire à l’université, elle a dû attendre jusqu’au mois d’avril ! Non, le Gabon ne peut pas être apaisé.

Depuis l’élection présidentielle de 2016, une crise politique majeure a éclaté, des jeunes ont été tués dans la répression violente ordonnée par le pouvoir… Les parents demandent réparation, mais personne ne leur parle. En 2016, le président a pu gagner la « guerre » contre les forces de l’alternance qui, elles, avaient gagné l’élection par les urnes. Il doit maintenant être capable de gagner la paix. Or, il s’enferme dans le déni. J’ai observé le processus de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire piloté par Charles Konan Banny après la crise post-électorale. Rien de tel n’a été entrepris au Gabon depuis 2009. Il faut mettre le problème sur la table et le régler. Or, nous n’en prenons pas le chemin.

Les opposants en exil comme les Gabonais vivant au pays ne sont pas en sécurité

Pourquoi, comme bien d’autres opposants tels que Jean-Pierre Lemboumba ou Alfred Nguia Banda, vivez-vous à l’étranger ? Avez-vous le sentiment d’être en insécurité au Gabon ?

Quand on a comme moi été empoisonné et guéri de justesse, quand on a été la victime de plusieurs machinations judiciaires, peut-on se sentir en sécurité ? Non, je ne me sens pas en sécurité au Gabon. Pour autant, cela ne m’empêchera pas de m’engager dans le combat pour changer ce système.

Par ailleurs, vous citez Jean-Pierre Lemboumba, qui vit de nouveau en exil. Posez-lui la question. Un homme qui a son expérience, qui a été confronté à la mort directement, qui a pris sur lui de revenir au pays à la suite d’une négociation, qui en est reparti et regarde désormais à distance ce qui s’y passe, vous dira ce qu’il en pense. Oui, il y a une insécurité au Gabon. D’autres, qui ont été pourchassés, disposent aujourd’hui du statut de réfugié en France et donc de la protection de ce pays, qui considère ainsi crédibles leurs craintes. Mais les Gabonais vivant au Gabon sont aussi en insécurité. Si on peut être arrêté et mis en détention par la Direction générale des recherches gabonaise (DGR) sans aucun document signé d’un magistrat, est-on en sécurité ? Non.

L’opposition critique beaucoup, mais pourquoi ne propose-t-elle pas ?

Un gouvernement, même illégitime à l’instar de celui du Gabon, a vocation à gouverner. Le rôle de l’opposition – qui a pour ambition de prendre le pouvoir pour appliquer son programme -, c’est de critiquer ce qui se fait. La critique, quand elle est constructive, bien comprise, emporte elle-même la proposition alternative. Si on critique l’état des routes, c’est bien pour que leur conception et leur entretien soient faits autrement. L’opposition n’a pas vocation à servir de conseil au président et à son gouvernement. D’autant plus que sur les questions sociétales telles que la modification du droit de la famille, ce gouvernement-là n’a même pas l’humilité de demander l’avis des Gabonais. Pourquoi irions-nous conseiller des gens omniscients ?

Ce régime a une tendance monarchique claire et affirmée

S’agissant de la modification constitutionnelle, est-elle plus technique que politique ?

Au départ, je pensais qu’elle avait pour objet d’organiser les indisponibilités du président, compte tenu de son état de santé. Dans la rédaction précédente, le président du Sénat assurait l’intérim du président en cas d’indisponibilité. Mais, quand j’ai lu la modification, quelle ne fut pas ma surprise ! On a créé un triumvirat [président du Sénat, président de l’Assemblée nationale et ministre de la Défense] pour assurer l’intérim du président en cas de vacance.

Ma lecture est claire : je suis convaincu que c’est la personne de madame Lucie Milebou-Aubusson [réélue le 1er mars à la tête du Sénat, NDLR], successeur constitutionnel, qui ne convenait pas au président de la République, lequel, pour la contourner, a créé ce triumvirat. Je continue de considérer que c’est une modification à visée personnelle.

On peut regarder cette modification comme étant technique pour lui ou le groupe dont il sert les intérêts, leur objectif étant la conservation du pouvoir. Mais, s’agissant de la loi fondamentale, dans un pays démocratique, une modification technique appelle un débat. On retrouve encore ici la marque de fabrique de ce régime qui a une tendance monarchique claire et affirmée. Une précédente modification avait déjà porté sur l’article 8 de la Constitution, qui dispose désormais que « le chef de l’État est le chef suprême de l’exécutif ». On en conclut que l’État au Gabon, c’est le président de la République.

Le président est-il suffisamment crédible pour parler de paix aujourd’hui ?

À propos de débat, faut-il un nouveau dialogue ?

Je ne peux pas être hostile au dialogue, surtout quand il s’agit de rassembler les populations de mon pays. Mais de quoi parle-t-on ? Si on appelle au dialogue, cela suppose que la paix a été compromise. Il faut d’abord s’entendre sur ce sujet pour tirer les leçons du passé et faire des propositions pour que cela ne se reproduise pas. Je ne veux faire de procès d’intention à personne, mais le président est-il suffisamment crédible pour parler de paix aujourd’hui ? Peut-on se fier à sa parole ?

Reste que l’idée participe de l’apaisement tant recherché …

La question du dialogue en terme de principe ne se pose pas. La question est de savoir si nous sommes capables d’établir un niveau de confiance suffisant pour que les échanges soient crédibles. Ce ne doit pas être, pour le pouvoir, une astuce pour faire venir autour de la table quelques esprits fragiles dans le but de montrer à la communauté internationale qu’il tend la main à ses adversaires. Reste une question : un tel dialogue devrait-il se tenir entre les seuls Gabonais, ou faudrait-il associer un médiateur extérieur qui viendrait crédibiliser les échanges et les décisions ?

Comment l’opposition devrait-elle préparer la présidentielle de 2023 ?

Évoquer 2023 est un casus belli pour beaucoup. Car 2023 vient après 2016, une présidentielle qui a été remportée par Jean Ping. Il faut d’abord s’investir dans le rassemblement des Gabonais. Un rassemblement large et pas sectaire. Je pense qu’à l’intérieur du système, de très nombreux Gabonais souhaiteraient que celui-ci change. Il faut leur donner la possibilité de rejoindre les forces du changement. Il faut œuvrer pour le rassemblement, sans céder à la tentation de séparer les oppositions pures de celles qui seraient considérées comme impures.

L’opposition doit accepter la compétition et laisser s’exprimer les ambitions légitimes

L’opposition doit ensuite s’organiser et s’investir pour que ce qui s’est produit en 2016 ne se reproduise pas. C’est-à-dire qu’une province ne soit pas être instrumentalisée pour changer le résultat. Le scrutin de 2023 doit être honnête. Nous devons nous en donner les moyens. Sinon, il n’aura aucune sorte d’intérêt, car le système organiserait l’élection avec « sa » liste électorale, « sa » commission électorale et « sa » Cour constitutionnelle. Nous devons travailler à poser les bases de l’organisation de scrutins démocratiques pour l’avenir.

Enfin, l’opposition doit accepter de jouer le jeu démocratique. Nous devons accepter la compétition et laisser s’exprimer les ambitions légitimes. Il ne faut pas brider les ambitions ni dire que telle ou telle ethnie ne devrait pas avoir de candidat.

Sur le plan personnel, serez-vous candidat ?

J’y pense. Nous pensons à offrir une alternative aux jeunes.



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