[Tribune] Sommet de Paris sur «le financement des économies africaines» : le prix de la soumission | Gabonreview.com
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Derrière son apparente générosité, le sommet international du 18 mai dernier à Paris, consacré à la relance des économies africaines, durement ébranlées par les conséquences de la crise sanitaire, cache «des enjeux géostratégiques démoniaques» dont les objectifs réels sont ailleurs, la France ne pouvant se prévaloir d’une fiabilité financière, au regard de sa propre situation et l’Afrique étant de loin le continent le moins endetté. Telle est, grosso modo, la pensée d’Emmanuel Ntoutoume Ndong, inspecteur général des finances, qui pose ici un regard froid sur les relations France-Afrique et les ressorts cachés du dernier sommet de Paris sur l’Afrique. Édifiant.
Un sommet sur le financement des économies africaines s’est tenu à Paris du 16 au 17 mai courant. Convoquée à l’initiative du président français Emmanuel Macron, cette rencontre affichait le triple objectif d’aider les pays africains à trouver des financements nécessaires à la relance de leurs économies sinistrées par les effets négatifs la pandémie de la Covid-19, de leur octroyer des moyens accrus pour lutter contre cette dernière, et de régler, une fois pour toutes, la question de l’endettement des pays africains, dans le cadre d’une nouvelle donne (new deal). Les recommandations issues de ce Sommet devront être par la suite confirmées par le G7 et le G20.
Cette générosité soudaine de la France à l’égard de l’Afrique a quelque chose de louche et d’inquiétant. Elle ne peut réjouir que les naïfs et les oublieux des leçons de l’histoire des relations entre la France et l’Afrique. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que certains chefs d’Etats, notamment d’Afrique centrale et de pays anglophones, aient boudé cette mascarade, puisque sur les 54 États que compte le continent africain, seuls 21 ont répondu à l’invitation du président français. Ceux qui n’ont pas effectué le déplacement de Paris sont ceux qui ont compris que l’enjeu réel de ce Sommet n’est pas celui qui est officiellement affiché, que derrière cette initiative apparemment généreuse, se cachent des enjeux géostratégiques démoniaques dont les objectifs réels sont de tenter de redorer l’image fortement dégradée de la France auprès des populations africaines après quatre siècles de domination et 60 ans de soutien aux dictateurs, d’essayer de lier définitivement le destin l’Afrique à celui de la France en particulier et de l’Occident en général, à travers un mécanisme financier conçu, à la fois pour faire travailler les multinationales européennes qui contrôlent les économies africaines, et pour annihiler le peu de souveraineté qui reste aux pays africains concernés, avant de les livrer aux appétits gargantuesques de la finance internationale dont l’actuel président français est manifestement l’agent le plus actif.
L’obsession de la France aujourd’hui est de rétablir son image de marque dégradée et son influence menacée sur les pays du « pré carré » et de contrecarrer la présence obsédante de la Chine, et depuis peu, de la fédération de Russie, deux pays qui offrent des possibilités de partenariat gagnant-gagnant bien plus attrayantes que celles que propose la France. Après des siècles d’esclavage, de colonisation et de néo colonisation, la France n’est toujours pas parvenue à placer ses relations avec l’Afrique dans un cadre autre que celui de la domination et de l’exploitation. La domination parce que, sous le couvert d’indépendances que chacun sait purement formelles, la France continue de régenter les États d’Afrique francophone, à travers le placement à leurs têtes de dirigeants à sa solde et dont la vocation non dite est de garantir ses intérêts économiques et stratégiques.
Jusqu’à preuve du contraire, personne n’a pu accéder au pouvoir en Afrique francophone et s’y maintenir durablement depuis 1960 sans la bénédiction et le soutien de la France. Les interférences récurrentes de la France dans le jeu politique des pays d’Afrique francophone et son soutien de plus en plus affiché aux pires dictatures, ajoutés à sa condescendance à l’égard des Africains, au pillage systématique des matières premières africaines, et au maintien du franc CFA, sont à l’opposé de ce que souhaitent les peuples africains aujourd’hui. Ces attitudes attisent le sentiment anti-français qui se développe dans tous les pays d’Afrique francophone, notamment parmi les jeunes qui aspirent à la démocratie, à l’Etat de droit, à une gouvernance moderne au profit de tous. Or, en 60 ans d’indépendance et de coopération privilégiée avec la France, les pays d’Afrique francophone n’ont réalisé aucun progrès notable dans aucun de ces domaines.
Il est donc clair que c’est pour pallier cette perte d’influence due à ses propres turpitudes et contrecarrer le sentiment anti français qui tend à se généraliser en Afrique francophone qu’Emmanuel Macron s’agite aujourd’hui. Le Centrafrique qui s’est mis au chaud sous l’aile protectrice de la fédération de Russie, la 2e puissance militaire du monde, est probablement perdu pour la France. La Russie est en train d’aider le Centrafrique à vaincre une rébellion que l’aide occidentale et française ne sont pas parvenues à éradiquer depuis des décennies. D’autres pays du « pré carré », et non des moindres, ne cachent plus leur volonté de rechercher de nouveaux partenariats ailleurs. En effet, pendant que se déroulait le Sommet de Paris, le président du Gabon, pur produit de la Françafrique, était à Londres pour finaliser l’adhésion du Gabon au Commonwealth, une organisation internationale britannique rivale de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Le président du Cameroun n’a pas non plus jugé opportun de se rendre dans la capitale française, pas plus que celui de Guinée Équatoriale ni du Centrafrique. Au total, sur les 6 pays membres de la CEMAC, seul le Congo était représenté par son président de la République. La présence du président de la RDC semble davantage s’expliquer par sa charge actuelle de président en exercice de l’Union Africaine, que par tout autre chose. L’avenir le dira, il n’est pas exclu que l’assassinat du président Idriss Deby trouve son explication dans les velléités d’indépendance que ce dernier n’a eu de cesse de manifester peu avant sa disparition, à travers d’incessantes critiques de la politique africaine de la France en général et du maintien du franc CFA en particulier. Le risque de contagion était trop élevé de voir le Tchad, après le Centrafrique, tomber dans l’escarcelle de Moscou.
Le Sommet de Paris n’a pas seulement été une grossière manœuvre politicienne visant à renforcer les positions décadentes de la France en Afrique, ce fut aussi la tentative d’arnaque la plus crapuleuse de ce début du 21e siècle. D’abord, de quelle fiabilité financière peuvent se prévaloir la France, l’Italie, le Portugal ou l’Espagne, au regard de leurs propres situations, pour être en mesure de se porter caution de pays africains réputés pauvres, mal gouvernés et surendettés ?
Ensuite, comment comprendre cette obsession des pays occidentaux à vouloir coûte que coûte imposer le vaccin contre la Covid-19 aux africains, alors que son impact n’est que de 2% du PIB pour l’Afrique, quand il est de 5% pour l’Europe ? Les chiffres officiels indiquent aussi qu’avec 30000 décès liés à la pandémie pour tout le continent, l’Afrique reste le contient le moins touché, loin derrière l’Amérique, l’Europe et l’Asie ? Cet acharnement, qui confine au harcèlement, ne peut que susciter le scepticisme des africains et alimenter toutes sortes de théories complotistes.
Enfin, comment ne pas s’étonner que les mêmes qui ne ratent jamais une occasion pour pointer la pauvreté, la mauvaise gouvernance et le surendettement des pays africains soient aujourd’hui les premiers à les inviter à accroître cet endettement à travers le mécanisme des Droits de Tirages Spéciaux (DTS) portant sur 600 milliards d’euros généreusement consentis par le FMI et la Banque Mondiale, et dont seulement 33 milliards sont destinés à l’Afrique ? Si l’opération concoctée à Paris avait été prioritairement destinée à l’Afrique, la question se poserait alors de savoir à qui sont destinés les 537 milliards d’euros restants ? Notons au passage que le DTS est un mécanisme financier comparable au découvert bancaire. Dans la mesure où c’est le crédit qui crée de la monnaie, les 600 milliards d’euros de DST annoncés sont purement virtuels, physiquement inexistants. Ils ne servent que d’effet de levier permettant de créer des actifs financiers, donc des crédits. Le fait que ces concours soient octroyés sans intérêt ne doit tromper personne. Ces crédits seront conditionnés en échange de la souveraineté et de l’intégrité des pays et impliqueront de nouvelles privatisations massives de biens publics africains. Les DTS proposés vont bénéficier prioritairement à la France et aux autres pays européens engagés dans cette opération en leur permettant, sous le prétexte d’aider l’Afrique, de lever des fonds pour se financer eux-mêmes, et pour s’assurer de faire travailler leurs multinationales tributaires de la commande publique africaine.
L’Afrique n’est ni pauvre ni surendettée. C’est l’exploitation sauvage de ses matières premières depuis des siècles qui a appauvrit l’Afrique et permis aux puissances européennes de bâtir leur prospérité d’aujourd’hui. N’est-ce pas l’uranium du Gabon et du Niger qui a permis à la France, qui ne possède aucune mine de ce minerais stratégique, de disposer de la bombe atomique ? Et à la Société Areva d’être le leader mondial pour tout ce qui concerne l’énergie nucléaire ? N’est-ce pas le pétrole africain qui a assuré son indépendance énergétique à la France, après la perte de l’Algérie, et lui a permis de s’asseoir à la table des grandes puissances du monde ? La preuve la plus nette de ce que c’est de l’Afrique que la France tire sa richesse se trouve dans les déficits commerciaux des pays africains vis à vis de la France. Ce déséquilibre commercial structurel des pays africains au bénéfice de la France montre que cette dernière s’enrichit davantage sur le dos des pays africains, qu’elle ne les enrichit. La pauvreté africaine est donc artificiellement et volontairement entretenue par ceux qui ont tout à perdre de l’industrialisation effective de l’Afrique, et qui s’obstinent à contrôler sa politique économique et monétaire. Les dégâts causés par le franc CFA dans la constitution et l’émergence des économies des pays d’Afrique francophone ne sont plus un secret pour personne. Sa vocation cachée est de les maintenir dans une « servitude » monétaire perpétuelle et de les condamner à n’être que des fournisseurs passifs des matières premières sans valeur ajoutée.
L’Endettement de l’Afrique, pour élevé qu’il paraisse, doit être relativisé, à la fois au regard des ratios internationaux en vigueur, et en comparaison avec les pays qui lui donnent des leçons de bonne gouvernance. Aucun des pays européens à l’origine de l’initiative de Paris n’est exemplaire en matière d’endettement. Alors que la dette globale de l’Afrique culmine à 750 milliards d’euros, celle de la France s’établit à 2674, 4 milliards d’Euros, soit 120% de son PIB, répartie ainsi : dette de l’Etat 2017 milliards d’euros ; Comptes sociaux 300 milliards d’euros ; collectivités locales 216 milliards d’euros, entreprises publiques 216 milliards d’euros (Areva 8 milliards d’euros, EDF 34 milliards d’euros, la SNCF 43 milliards d’Euros). L’Italie est encore plus mal lotie, puisque sa dette publique s’établit à 166,7% de son PIB, dont 152,45% pour la dette extérieure. La dette du Portugal culmine à 168,28% de son PIB, et de 242,57% pour la dette publique extérieure. La dette publique extérieure espagnole est, quant à elle, évaluée à 189,74% de son PIB.
Il est facile de constater qu’aucun pays africain n’a encore atteint de tels niveaux d’endettement, et que l’essentiel des 750 milliards d’euros qui constituent la dette africaine sont détenus à 250 milliards d’euros par la Chine, à 75 milliards d’euros par le Club de Paris, à 84 milliards d’euros par le FMI, et le reste par divers investisseurs privés. Ces chiffres montrent aussi, non seulement que l’Afrique est de loin le continent le moins endetté, celui dont l’endettement peut être garanti par son immense potentiel en matières premières si elle était maîtresse de sa politique monétaire, mais aussi que la dette africaine à l’égard des pays et des organisations financières occidentales est plutôt marginale. Si les pays d’Afrique francophone jouissaient de leur souveraineté monétaire et disposaient d’une banque centrale indépendante, la question de leur endettement causerait moins de remous.
Le Sommet de Paris aurait été profitable à l’Afrique s’il s’était attaqué à ses vrais problèmes de l’Afrique : 1- la redéfinition des relations entre la France et l’Afrique dans le cadre rénové d’un partenariat gagnant-gagnant ; 2- la définition sous les auspices de la communauté internationale des modalités d’une démocratisation réelle des pays africains ; 3- la définition avec chronogramme des conditions de sortie du franc CFA ; 4- la définition d’une stratégie d’industrialisation de l’Afrique entre autres.
Il est regrettable qu’aucune de ces questions pourtant urgentes pour l’Afrique francophone n’a été effleurée lors du Sommet de Paris.
Emmanuel Ntoutoume Ndong, inspecteur général des finances
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