«  Jean Ping n’est plus incontournable » – Jeune Afrique

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Ancien directeur adjoint de cabinet d’Omar Bongo Ondimba devenu opposant, Mike Jocktane fait figure de « jeune loup » aux dents longues sur la scène politique gabonaise. Et n’exclut pas de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2023.


Son séjour avait mal commencé : à peine arrivé en France, Mike Jocktane a contracté le Covid-19. Après avoir décommandé notre premier rendez-vous, l’évêque a fini par nous rendre visite au siège de Jeune Afrique, avec un exemplaire de son livre en promotion, La croix et la bannière – Le sens de mon engagement, sorti en décembre.

À 48 ans, le dirigeant du Mouvement pentecôtiste et charismatique du Gabon fût tour à tour directeur adjoint de cabinet d’Omar Bongo Ondimba, directeur de campagne d’André Mba Obame, puis vice-président de l’Union nationale (UN, opposition), parti dont il finit par claquer la porte en 2017 pour lancer sa propre formation baptisée Gabon nouveau.

Mike Jocktane n’est pas un crocodile du marigot mais un « jeune loup » aux dents longues, qui aspire à jouer un rôle de premier plan. Son livre est-il une manière de prendre date pour l’élection présidentielle de 2023 ? Il refuse de le dire, mais cela y ressemble fort.

Jeune Afrique : Pourquoi avoir écrit un livre ?

Mike Jocktane : Pour donner les raisons qui poussé un homme d’église à s’engager en politique. Je raconte les événements dont j’ai été témoin, notamment dans le cadre de ma relation avec le président Omar Bongo Ondimba et, dans la suite de mon parcours, avec André Mba Obame, dont j’ai été l’un des proches jusqu’à ce qu’il décède, le 12 avril 2015.

Je parle aussi de l’Union nationale, puisque j’en ai été le vice-président. J’évoque l’élection présidentielle de 2016 au cours de laquelle nous avons apporté notre soutien à Jean Ping. Je reviens enfin sur la suite de cette élection avec le dialogue national qui s’en est suivi.

Est-ce une façon de prendre date avec les électeurs en leur annonçant que vous serez au rendez-vous en 2023 ? 

L’élection présidentielle de 2023 est encore loin. Toutefois, il est clair que de nombreux Gabonais m’encouragent à me porter candidat. J’y réfléchis très sérieusement. J’annoncerai ma décision lorsque je l’aurai prise. Lorsque l’on a un engagement politique, il est important de parler avec les autres. C’est ce que j’essaye de faire à travers ce livre.

Vous avez été un collaborateur d’Omar Bongo Ondimba. Pourquoi n’avoir pas soutenu son fils, Ali, comme beaucoup de vos anciens collègues ?

À la mort du président Bongo, j’ai pensé qu’après plus de quarante ans à la tête du pays, c’était l’occasion pour le Gabon de tourner la page, quelle que soit l’opinion que l’on pouvait avoir de son bilan. Je pensais que le président avait fait de son mieux, mais que le moment était venu de passer à autre chose. Et je l’ai dit à ses enfants, Pascaline et Ali.

Je leur avais dit que c’était une opportunité pour le pays d’entrer dans une forme de démocratisation intégrale. C’est pour cette raison que j’ai rejoint André Mba Obame, ce dernier m’ayant finalement amené vers l’opposition. Nous considérons avoir gagné l’élection de 2009, même si nous avons été privés de la victoire. Nous avons poursuivi la lutte et, depuis qu’il est décédé, je me suis résolu à aller au bout de ce que nous avions commencé.

Vous avez ensuite rallié Jean Ping. Quelle est votre opinion sur la dynamique qui l’a porté candidat à la présidentielle de 2016 ?

Je n’ai pas décidé de rallier Jean Ping. En fait, il s’est imposé à l’opposition en 2016. Il a été désigné comme notre candidat et, dans ce contexte, je lui ai apporté tout mon soutien. Après la proclamation des résultats de l’élection de 2016, j’ai été le premier à exprimer mon désaccord quant à la stratégie à adopter. J’ai estimé que, lorsque l’on gagne une élection avec près de 70 % des suffrages et que l’on ne prend pas le pouvoir dans la semaine qui suit, on ne le prendra plus.

Il faut être honnête avec soi-même pour prendre acte de cet état de fait. Il faut aussi être honnête avec les Gabonais en leur disant la vérité. Ensuite seulement, on adopte une stratégie permettant de faire évoluer le pays dans la direction souhaitée. Dès septembre 2016, j’ai donc pris mes distances avec Jean Ping car, pour moi, il y avait déjà eu assez de morts. Il était maintenant temps de regarder vers l’avenir pour se donner les moyens de faire en sorte que cette situation ne se répète pas.

En 2023, les gens se rassembleront autour d’un nouveau projet présidentiel

Jean Ping est-il toujours en position de s’imposer comme chef de file de l’opposition ? 

Cinq ans après la dernière élection, il est clair que la dynamique n’est plus avec lui et que ses prises de positions ne le placent plus comme une personnalité incontournable du paysage politique. En 2023, les gens se rassembleront autour d’un nouveau projet présidentiel.

Qui vous semble prêt à représenter l’ensemble de l’opposition ?

Il n’existe pas qu’une opposition, mais plusieurs oppositions. Le paysage politique est complexe. Au Gabon, il y a par exemple le PDG [Parti démocratique gabonais ], qui est le parti au pouvoir, mais aussi tous ces ex-PDGistes, qui sont passés à l’opposition mais qui ont gardé des réflexes d’ancien parti unique. Moi, je n’ai jamais milité au PDG et je ne me reconnais pas en eux.

À qui faites-vous allusion ?

Regardez cette opposition représentée par Guy Nzouba Ndama. Lui qui dit qu’il serait d’accord pour faire partie des sénateurs nommés par Ali Bongo Ondimba… Comme lui, certains ne voient pas d’un mauvais œil le fait de marcher main dans la main avec la majorité. Cette opposition-là n’est que le fruit d’un schisme du parti au pouvoir. C’est en réalité une faction qui s’est détachée, non pas pour des raisons idéologiques, mais pour des questions de confort et de pouvoir. Je pense qu’il y aura une clarification en 2023.

Avec l’approche des élections, des personnalités nouvelles vont émerger. J’espère en faire partie

N’y a-t-il pas plutôt un problème de génération dans le personnel politique ?

C’est vrai qu’il existe une crise générationnelle. Jusqu’à un passé très récent, ce sont des individus qui avaient travaillé avec Omar Bongo Ondimba qui étaient aux affaires. L’effet du temps auquel personne n’échappe oblige à un renouvellement. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui sont des personnalités qui viennent d’émerger. Quant à l’opposition, c’est plus complexe, car le leadership doit s’exprimer sur le terrain. Avec l’approche des élections, des personnalités nouvelles vont émerger. J’espère en faire partie.

Avez-vous le sentiment que le pays soit mieux gouverné ?

Ce qui est clair, c’est qu’avant de tomber malade, Ali Bongo Ondimba avait été mal élu à deux reprises – en 2009 et en 2016. Après son AVC en octobre 2018, je crois qu’il est désormais hors de danger. Mais la question qui se pose est de savoir s’il est apte à continuer d’exercer la haute fonction qui est la sienne. Ça, c’est le secret que seuls son entourage et lui-même connaissent.

Mais pour les Gabonais, beaucoup d’indices laissent penser que l’on devrait aller vers une déclaration de vacance et organiser de nouvelles élections. Le Gabon est-il mieux géré qu’autrefois ? Je n’en suis pas sûr. Le pays est en crise, et le Covid-19 est venu aggraver nos problèmes. Ce n’est pas en mettant aux affaires des personnes, qui sont pour la plupart sans expérience, que cela va changer.

Quels sont vos rapports avec vos anciens amis politiques de l’UN, qui se disputent aujourd’hui le parti ?

Il est dommage qu’il n’y ait pas davantage de candidats. Tout le monde connaît les qualités de travail de Paul-Marie Gondjout. Il est le gendre du président sortant de l’UN, Zacharie Myboto, mais il a le droit de se présenter et de solliciter les suffrages des militants. Cela dit, je comprends le reproche de la « succession dynastique » qui vise son projet et ce que cela représente pour l’image du parti.

Je crains que toutes les mesures sanitaires n’accentuent les écarts sociaux et la pauvreté

Quant à Paulette Missambo, on se pose la question de son envie. Souhaite-t-elle vraiment diriger ce parti ? Sa candidature est-elle le résultat des pressions exercées par son entourage ou la manifestation d’une volonté personnelle ?

Que pensez-vous des mesures prises par le gouvernement pour empêcher la propagation du Covid-19 ?

Les décisions prises ne sont accompagnées d’aucune mesure complémentaire qui permettrait leur bonne exécution. Par exemple, on instaure un couvre-feu à 18 heures mais les travailleurs sont tenus d’être à leur poste jusqu’à 16h30. Résultat, on se retrouve avec des embouteillages et des populations qui ne savent pas comment rentrer chez elles.

On impose le port du masque de l’adulte à l’enfant de cinq ans, mais il n’y a jamais eu de distribution gratuite. On impose des tests payants dans les établissements publics ou les églises, tout en réduisant la durée de validité de ces tests. Je questionne aussi la communication du gouvernement, qui ne juge pas utile d’expliquer ses décisions. Je crains que toutes ces mesures n’accentuent les écarts sociaux et la pauvreté. Cette situation me préoccupe.

Comment devrait réagir le Gabon face à crise sanitaire ? 

Cette pandémie devrait être une opportunité pour rassembler les forces politiques de tous bords, y compris la société civile.

Il faut que les Gabonais se reparlent pour qu’il y ait une décrispation du climat politique et social. Je pense qu’une grande table ronde devrait être organisée pour déboucher soit sur l’organisation d’élections démocratiques, soit sur une transition susceptible d’organiser ces scrutins.



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